Alors que des médias espagnols diffusaient la photo d’un bébé palestinien présenté comme une victime de Laâyoune –en réalité prise par le photographe Hateem Omar à Gaza en 2006– le Maroc se voyait gentiment accusé d’avoir commis un crime contre un nourrisson. L’évènement aurait pu faire la Une de la presse, lançant un débat rétro-actif sur le trucage et la manipulation par l’image. Le Maroc aurait pu mesurer la force d’une photographie qui, sortie de son contexte, est utilisée à des fins politiques, mettant en jeu la crédibilité du pays. Il aurait pu. Il n’en fit rien.
Aujourd’hui portée devant la justice internationale, l’affaire pose une question fondamentale : quelle est la place de la photographie dans la presse marocaine? « La photographie a toujours été considérée comme un art mineur au Maroc. D’ailleurs, quand on parle des arts plastiques, on exclut la photographie. Au niveau de la législation, le code de la presse ne donne aucun statut aux photojournalistes, raison pour laquelle bien souvent, les éditeurs négligent la photographie», explique Jaâfar Akil, président de l’AMAP et professeur de l’art de la photographie à l’Institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC). Pour asseoir son propos, l’homme s’interroge : «Y a-t-il un journal marocain qui a le courage de sortir une photo à la place d’un éditorial? Les journaux ont-ils une ligne éditoriale concernant la photographie ? Combien de journaux s’engagent à réaliser des reportages photographiques ? Quel est le nombre de photographes embauchés par les magazines par rapport aux journalistes spécialisés dans le domaine du sport ou de l’économie par exemple ?»
La photographie est le parent pauvre de la presse marocaine. En effet, il est aujourd’hui bien rare de trouver une légende photo respectant les cinq « W » (who, what, when, where, why) (qui, quoi, quand, comment, pourquoi). Des légendes négligées, des crédits inexistants, un DR (Droits Réservés) abusif, on oublie bien souvent qu’une image est, comme un texte ou un film, une œuvre de l’esprit. L’une des solutions serait, peut-être, la création d’agences de presse photographiques qui, dans la lignée de Magnum ou de l’agence Vu’, offriraient un cadre juridique et contractuel aux relations entre photographes et éditeurs. La première expérience marocaine en matière d’agence photo date de 1961, à l’instigation du photographe Mohamed Maradji. Aujourd’hui, l’agence AIC Press signe la plupart des supports marocains. Quoique cette agence réponde davantage aux critères d’une « pseudo » agence filaire à petit prix -et dont les photographes sont destitués de leurs droits d’auteur- qu’aux revendications d’une agence photo traditionnelle.
Dans cet état de fait, le Maroc a réalisé l’urgence d’offrir aux photojournalistes un statut juridique. C’est ce que prépare la nouvelle loi sur le droit d’auteur des formes de production audiovisuelle. Une lueur d’espoir pour la photographie de presse, même si le gros du travail passe d’abord par une éducation à l’image et une sensibilisation : «Il faut d’abord toucher les responsables de journaux. Si les futurs journalistes et photojournalistes apprennent leur métier avec les normes professionnelles, ils vont se heurter aux éditeurs. C’est la culture et la valeur de l’image dans sa globalité qu’il faut revoir», affirme Jaâfar Akil. Et d’ajouter, comme un appel : «On veut une presse écrite qui donne plus d’importance à l’image. Les photographes n’ont pas la possibilité d’exprimer leur vision des choses. Avant de passer à la censure de l’Etat, il y a une autocensure au niveau des journaux et même des photographes».
Le Maroc, guidé par sa propension au respect des droits de l’Homme, ne peut reculer aujourd’hui. Le droit à l’information passe par le photojournalisme. Précisément parce que le pouvoir de la photographie – comme sa plus grande crainte – se passe de mots.