L’exposition « Paysages » à l’abbaye de Jumièges présente une centaine de photos d’Henri Cartier-Bresson. Une (re) découverte d’un prodigieux artiste très inspiré par la peinture.
Dans cet ensemble d’une centaine de photographies d’Henri Cartier-Bresson présenté au logis abbatial de Jumièges, le regard de peintre de cet immense photographe apparaît comme une évidence. Il le souligne en exergue de cette sélection qu’il a réalisée en 1999 et qui n’a fait l’objet jusque-là que d’une seule exposition en France : « Il est salutaire de contempler les paysages de Giovanni Bellini, Hokusaï, Poussin, Corot, Cézanne, Bonnard et tant d’autres, et d’aller soi-même dans la nature crayon en main. »Ce que fera d’ailleurs le photographe, initié très tôt à la peinture, et revenu sur le tard au dessin après une carrière de photoreporter au sein de Magnum.
Les photographies de « Paysages » en noir et blanc bénéficient d’une qualité de tirage exceptionnelle (et sont interdites de reproduction), ce qui permet d’admirer pleinement la composition des prises de vue, des plus anecdotiques en apparence aux plus inspirées.
C’est ainsi que l’on démarre par quatre jumelles d’observation plantées devant un vaste paysage aux Etats-Unis. Dans cette photo, l’humour le dispute à la géométrie et l’on croirait voir des petits martiens débarquer dans le désert.
L’exposition mélange les lieux et les périodes (des années 30 à 1999), préférant confronter plutôt les styles et le choix des thèmes. Ainsi les éléments sont une source d’inspiration infinie pour construire une photographie. Il y a la neige, le sable, l’eau. Et les êtres bien sûr, éléments pami les éléments dans ces paysages.
Naît alors une « géométrie poétique » qui fait surgir un Manhattan cubiste et graphique ou une Ile de la Cité impressionniste. Et que dire des baigneuses et baigneurs au bord de la Marne qui s’abreuvent à Renoir.
La profondeur de champ y devient une esthétique. Une seule fois Henri Cartier Bresson a développé sa vision de la photographie, en 1952, dans le fameux texte intitulé « L’instant décisif ». Il y évoque ses débuts dans la photo, sa conception du reportage, comment s’articulent alors la composition et la technique.
Au moins une des images proposées au public dans « Paysages » illustre à merveille cette définition improbable de l’instant décisif. On est très certainement dans un pays du Sud de l’Europe, et dans ce petit village, le temps semble arrêté sur les femmes en noir et les enfants qui jouent, idéalement placés entre les lignes formées par rues, porche et rambarde d’escalier. Un exemple parmi d’autres qui permet aussi de mieux comprendre pourquoi son biographe Pierre Assouline le baptisa « L’œil du siècle ». Lui dit : « La photo, c’est la concentration du regard. C’est l’œil qui guette, qui tourne inlassablement, à l’affût, toujours prêt. La photo est un dessin immédiat. Elle est question et réponse. »
« Paysages » de Cartier-Bresson à l’abbatiale de Jumièges jusqu’au 20 septembre. Tarifs 4/6,50 €