50 ans de photo latino-américaine à la Fondation Cartier

La période couverte par l’exposition commence en 1960, au lendemain de la révolution cubaine, date charnière dans l’histoire de l’Amérique latine. Les deux décennies suivantes vont être marquées par des dictatures et des mouvements de libération sur l’ensemble de l’Amérique latine.

Depuis, la démocratie est revenue, mais la réalité sociale reste difficile dans des pays souvent confrontés à de sérieux problèmes de violence. Ce qui frappe d’emblée, dans l’exposition de la Fondation Cartier, c’est l’engagement des artistes présentés qui prennent position sur la situation politique et sociale de leur région.

L’exposition est foisonnante : elle rassemble des œuvres de 72 artistes représentant onze pays, dont on connait peu les photographes pour certains comme la Colombie, le Pérou, le Venezuela. Parfois, on aimerait en voir un peu plus de l’un ou de l’autre, surtout au sous-sol, où le travail est plus conceptuel et plus proche de l’art contemporain, plus difficile d’approche. C’est bien sûr impossible compte tenu du nombre d’artistes exposés. On se contentera donc de cette vaste introduction à l’art photographique du Nouveau monde et on s’en réjouira.

Au rez-de-chaussée, on aborde l’univers urbain, qui rassemble désormais 80% de la population du continent et offre un concentré de la réalité sociale, des inégalités et de leur violence. Les photographes jouent beaucoup avec l’écrit qui y est omniprésent, des enseignes aux publicités, faisant aussi parler les murs.

Ils le font avec poésie, parfois avec humour. Le Cubain Eduardo Rubèn collectionne les inscriptions incongrues : « Yo uso condon » (j’utilise des préservatifs) à l’arrière d’un camion, un graffiti proclamant « Viva Fidel, Viva el rock, viva el 1° de mayo ») (Vive Fidel, vive le rock, vive le 1er mai).

Plus loin, l’exposition s’intéresse à la notion de « territoires » : on sort de la photographie au sens strict, les artistes s’exprimant à travers la vidéo ou des installations.

Depuis le début des années 1970, Claudia Andujar se passionne pour les Yanomami d’Amazonie et les défend. Elle montre ici des photos ambiguës de ces Indiens, un numéro autour du cou, prises pourtant lors d’une campagne de vaccination qui visait à les protéger contre les maladies « importées » qui les menaçaient.

La question du territoire est intimement liée à la notion d’identité, essentielle en Amérique latine qui continue à interroger son passé colonial et à se définir face au grand frère du nord. D’où la fresque photographique de Regina Silveira (Brésil), qui assemble des images iconiques et des stéréotypes : Macchu Picchu, Che Guevara, tequila, conquistadores, string sur des fesses bien rondes, footballer (« To Be Continued », Latin American Puzzle).

Dans une vidéo, l’artiste brésilienne Leticia Parente se coud sous le pied « Made in Brazil » pour exprimer le contraste entre la culture de sa terre natale et celle de la société de consommation

Au sous-sol de la Fondation, les œuvres se font plus conceptuelles, pour « informer-dénoncer » ou interroger « mémoires et identités ».

Avec « Seja marginal, seja heròi », une bannière où on voit un braqueur de banque qui s’est suicidé plutôt que d’être pris par la police, Helio Oiticica dénonce le régime répressif brésilien au temps de la dictature.

Au Pérou, Eduardo Villanes dénonce la violence du gouvernement avec « Gloria Evaporada » (1994-95), une série de photos qui font allusion au massacre de l’université La Cantuta (Lima) : la police avait remis les cendres des victimes dans des boites en carton, pour la plupart des boites de lait en poudre Gloria.

C’est avec une vidéo et de grandes photos en couleur que Juan Manuel Echavarria évoque les violences, des paramilitaires comme des FARC. Dans la première, il filme en gros plan les chants déchirants de témoins et de survivants de deux massacres. Dans les secondes, il fait allusion aux déplacements de populations à travers des écoles abandonnées.

Les photos de Milagros de la Torre (Pérou) ressemblent à de banals vêtements : en réalité, ce sont une chemise et une veste « pareballes » (Antibalas).

Comme souvent a la Fondation Cartier, il faut prendre son temps pour aborder ce Nouveau Monde. On n’y fait pas un tour rapide. D’autant que l’exposition se termine par un film de deux heures et demie (« Revuelta(s) ») : l’artiste paraguayen Fredi Casco est parti à travers toute l’Amérique latine à la rencontre d’un certain nombre des artistes présentés dans l’exposition. Avec la réalisatrice Renate Costa, il a interviewé trente d’entre eux, dans huit pays

América latina 1960-2013, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris
Du mardi au dimanche 11h-20h (fermé le lundi), nocturne le mardi jusqu’à 22h
Fermeture exceptionnelle de la salle de projection mardi 19 novembre de 11h à 17h, jeudi 21 à partir de 17h et dimanche 24 à partir de 15h. Billet réduit ces jours-là.
Tarifs : 10,50 € / 7 € Jusqu’au 6 avril 2014

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