Depuis seize ans, la photoreporter Sarah Caron travaille sur les terrains les plus chauds de la planète et collabore avec les plus grands medias internationaux. De sa dernière immersion, elle a tiré un long récit, Le Pakistan à vif (Jean-Claude Gawsewitch) et une magnifique planche photographique, Pakistan/Land of the Pure (ed. Images en manoeuvres). Trois ans de voyage au coeur d’un pays rongé par l’instabilité politique (plus de 400 attentats ayant tué près de 4000 personnes), qui l’amènent à suivre de près les dernières heures de Benazir Bhutto, à entrer dans les zones tribales, interdites aux étrangers, ou à s’immiscer dans la fashion week de Lahore…
Vous êtes habituellement discrète sur vos conditions de travail. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre?
Sarah Caron: On me posait beaucoup de questions sur mon expérience de photo-reporter… Nous ne sommes pas si nombreux à avoir travaillé au Pakistan dans de telles conditions. C’est l’éditeur Jean-Claude Gawsewitch qui m’a contactée pour me convaincre de raconter mes expériences. Je me suis dit que j’avais le devoir de raconter ce que j’avais vu là-bas, en trois ans de reportage.
Vous atterrissez au Pakistan aux premiers jours de novembre 2007, avec une commande pour Time – un portrait de Benazir Bhutto – qui est de retour au pays après neuf ans d’exil, et vous vous retrouvez « assignée à résidence » avec elle, trois semaines avant son assassinat… Quelle impression vous a-t-elle faite?
Sarah Caron: Une présence très forte, un regard fort, elle prenait bien la lumière, comme on dit. J’étais très impressionnée à l’idée de la rencontrer. Elle m’a invitée à dîner et a appris qu’elle venait d’être assignée à résidence par le président Musharraf qui avait décrété l’état d’urgence. Et je suis restée avec elle… Elle était stressée, elle se sentait clairement en danger. Elle entendait bien mener une campagne électorale exemplaire, mais son intention, en fait, était d’avoir la peau de Musharraf. Sa bataille se déroulait sous un habillage démocratique mais il s’agissait d’un règlement de comptes avec lui.
Elle est alors la candidate préférée des Américains…
Sarah Caron: Oui, une icône. Et tout le monde a oublié les années de corruption de ses premiers mandats et son soutien aux religieux (1994-1995) qui ont favorisé la montée des talibans et leur prise de pouvoir à Kaboul… Au moment de son deuxième mandat de Premier ministre, la formation des talibans, recrutés dans les écoles coraniques des régions tribales le long de la frontière afghane, se faisait sous la houlette de l’ISI (services secrets). Benazir était alors convaincue qu’elle pouvait compter sur les talibans pour faire de l’Afghanistan une nation stable et qu’elle en retirerait à terme les bénéfices. Et elle était alors conseillée par l’ISI…
Vous êtes allée dans les régions tribales, interdites aux étrangers, vous avez interviewé des talibans… Etes-vous une tête brûlée?
Sarah Caron: Non, je ne crois pas. Les risques que j’ai encourus sont simplement le prix à payer de l’engagement photojournalistique. Je reste pragmatique et lucide, je fais toujours très attention au choix du « fixeur », très important dans ces pays-là… Ma vie peut en dépendre. Il doit parler les langues locales, se montrer diplomate, malin, fiable… Pour me sortir de situations critiques, j’ai aussi appris à me servir de mes « antennes ». L’intuition fait partie intégrante de mon « job ».
Vous décrivez une talibanisation accélérée dans le nord-ouest.
Sarah Caron: Oui, et depuis les inondations, c’est encore plus inquiétant, car le gouvernement n’a pas soutenu la population. Les islamistes ont pris la main auprès des plus démunis, leur cote de sympathie a beaucoup grimpé. C’est la ligne dure qui prévaut dans ces endroits : interdiction de l’école pour les filles, pas une femme non voilée dans la rue… L’armée a fait des opérations militaires pour détalibaniser la vallée de Swat, mais ils se sont déplacés au Nord. C’est un jeu de l’oie.
Vous passez trois à quatre mois par an à Paris, le reste du temps en voyage. Aucune envie de vous arrêter un peu?
Sarah Caron: Non! Ma vie se déroule dans ces reportages. Je suis toujours contente de revenir, même si j’ai rapidement envie de repartir.
Source : http://www.lexpress.fr