Rétrospective de Susan Meiselas au Jeu de Paume

Susan Meiselas (née en 1948), membre de l’agence Magnum, est connue surtout pour ses photos en couleur du Nicaragua, où elle part seule, sans mission, en 1978, parce qu’elle sent, après avoir lu un article du New York Times, qu’il s’y passe quelque chose. Une de ses photos deviendra un emblème de la révolution sandiniste. Son travail ne relève pourtant pas vraiment du photojournalisme.

Le Jeu de Paume met en lumière sa démarche particulière et très engagée dans une rétrospective qui revient sur toutes ses grandes séries depuis le début des années 1970. Engagée vis-à-vis de ses sujets et pleine de respect, qu’il s’agisse de gamines rencontrées dans la rue près de chez elle à New York ou de strip-teaseuses, d’insurgés nicaraguayens ou de femmes victimes de violences domestiques réfugiées dans un foyer. « C’est une chose importante pour moi  – en fait un élément essentiel de mon travail – que de faire en sorte de respecter l’individualité des personnes que je photographie, dont l’existence est toujours liée à un moment et à un lieu très précis », écrit Susan Meiselas.

Dans l’ouvrage « In History », la photographe parle de « restitution », souligne Pia Viewing, co-commissaire de l’exposition : « Pour elle, photographier c’est prendre quelque chose ». Et elle se pose, dès les années 1970, la question de l’échange, elle se demande comme on peut redonner quelque chose aux gens qu’on prend en photo.

Susan Meiselas, "Mississipi", Série "Porch Portraits", 1974
Nord de l’Irak, fausse commune où des Kurdes ont été retrouvés © Susan Meiselas

« Dès le début, elle fait des entretiens avec les personnes qu’elle photographie, elle les invite à avoir un rôle dans son travail », souligne Pia Viewing. Déjà, en 1971, quand, étudiante, elle photographie en noir et blanc les habitants de la résidence où elle habite, elle leur demande d’écrire un texte où ils disent comment ils se sentent dans l’immeuble du « 44 Irving Street » et comment ils se voient dans leur portrait.

Un peu plus tard elle commence à photographier une bande de petites filles qu’elle rencontre dans la rue dans le quartier new-yorkais de Little Italy, où elle habite. C’est une formidable relation qui se noue, puisqu’elle est toujours en contact avec elles, 40 ans plus tard. Elle va les suivre pendant des années et on les voit devenir des adolescentes, sortir du quartier, se marier.

Susan Meiselas
Prince Street Girl © Susan Meiselas

Une des séries les plus connues de Susan Meiselas est « Carnival Strippers » : pendant trois étés, elle a travaillé avec des strip-teaseuses qui se produisent sur un stand de fête foraine, les photographiant depuis le public (masculin) et « backstage ». Déjà, à l’époque, au début des années 1970, elle commence à multiplier les médias : là, elle associe à ses images une bande son où elle donne la parole au manager, aux clients et aux filles.

« Elle a travaillé avec le film, avec les publications, elle a réalisé des installations multimédia. La photographie, c’est la première forme de son travail, puis viennent les publications. Mais c’est la contextualisation du travail, à travers les bandes sonores ou les films, qui donne son sens à l’œuvre. Le sens n’est pas uniquement photographique », explique Pia Viewing.

« Pour simplifier, le photojournaliste est celui qui saisit un moment donné et son travail s’effectue à ce moment-là et c’est tout. Susan Meiselas, elle, ne se satisfait de ça ni temporellement ni spatialement. Pour elle les mediums se croisent pour raconter de façon assez complexe les situations et les récits de vie, l’épaisseur des choses dans le temps et dans l’espace », précise-t-elle.

C’est particulièrement vrai pour le Nicaragua. Quand Susan Meiselas s’y rend pour la première fois en 1978, elle part sur sa propre initiative. Ses images sont publiées dans la presse. Elle en fait un livre. Mais surtout elle continue à travailler dessus. Dans l’exposition, elle présente une installation qu’elle a montrée pour la première fois en 2006, « Médiation 1978-1982 », qui tourne autour du sens du travail éditorial, « pourquoi montrer telle photo plutôt que telle autre ». Les images courent autour de la salle, sur trois niveaux : en haut les photos utilisées par la presse, au centre les tirages d’exposition et les photos retenues pour le livre, en bas le contexte, les légendes et les tirages qui n’ont pas été choisis.

Susana Meiselas, Sandinistes aux portes du quartier général de la Garde nationale à Esteli : "L'homme au cocktail Molotov", Nicaragua, 16 juillet 1979
Nord de l’Irak, fausse commune où des Kurdes ont été retrouvés © Susan Meiselas

« Il s’agit d’un travail très important dans l’histoire de la photographe parce que, après le livre, il y a d’autres niveaux qui nous parlent de la circulation des images », remarque Carles Guerra, directeur de la Fondation Antoni Tápies de Barcelone et co-commissaire de l’exposition. « Quand on fait du photojournalisme, on pense à l’image arrachée du moment mais on n’arrive pas à imaginer l’espace de circulation des images, les sens différents qu’elles prennent. Susan Meiselas a pris conscience de ce phénomène et elle a passé un an, deux ans, à réfléchir à ce qu’elle avait fait par rapport à la guerre et la révolution. »

En 2004, elle est retournée au Nicaragua avec de grandes bâches où étaient imprimées ses photos de la révolution. Elle les a accrochées dans la rue, là où elles avaient été prises, et elle a recueilli la parole des riverains pour savoir ce qui avait changé dans la vie de chacun. Elle en a tiré un film, « Reframing History ». Dans un autre film, « Voyages », Susan Meiselas raconte, sur fond de ses images, comment elle est partie au Nicaragua et son expérience sur place.

Dans l’installation « Molotov Man » (1979-2009), elle remet en contexte cette image d’un jeune homme qui va lancer un cocktail Molotov devenue un symbole de la révolution sandiniste, mêlant une planche de diapositives racontant l’instant de la prise de vue, des reproductions de l’image sur un T-shirt ou le témoignage de l’homme, filmé des années plus tard.

Autre travail important de Susan Meiselas, celui qu’elle effectue depuis le début des années 1990 sur le peuple kurde. En 1991, elle se rend comme photojournaliste au nord de l’Irak, où Saddam Hussein  a ordonné des exécutions en masse de Kurdes. Elle photographie des restes humains exhumés, une fosse commune délimitée par des blocs de ciment au milieu d’un pré en fleur idyllique. Mais ces morts ne suffisent pas à raconter l’annihilation d’une société, un génocide. « Ca me paraissait étrange de photographier le présent en ayant une si petite compréhension du passé », écrit-elle. Alors elle se lance dans un travail énorme de collecte d’archives et de photos anciennes pour raconter l’histoire des Kurdes. Elles sont présentées dans une vitrine et dans une installation vidéo sur quatre écrans où l’artiste raconte sa démarche.

Susan Meiselas
Nord de l’Irak, fausse commune où des Kurdes ont été retrouvés © Susan Meiselas

Et là encore, le travail continue, puisque Susan Meiselas montre une « Storymap », une grande carte du monde sur laquelle elle accroche des livrets de témoignages recueillis auprès de Kurdes exilés au fil de ses voyages. Les derniers ont été recueillis à Paris, juste avant l’exposition du Jeu de Paume.

« Dans toutes ses œuvres, il y a cette résonance entre l’histoire et l’actualité. Et elle actualise le travail, elle se repose la question du pourquoi et du comment, encore et encore. C’est extraordinaire, à chaque fois qu’on monte une exposition avec elle, elle se pose encore des questions », raconte Pia Viewing.

Du 6 février au 20 mai 2018, au Jeu de Paume, place de la Concorde à Paris.
Ouvert le mardi de 11h à 21h et du mercredi au dimanche de 11h à 19h.  Fermé le lundi
Plein tarif : 10 € et tarif réduit : 7,50 €

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