En 1968, Raymond Depardon est photojournaliste pour l’agence Gamma, qu’il a cocréé avec Hubert Henrotte et Hugues Vassal deux ans plus tôt. Alors que son acolyte Gilles Caron couvre les événements de Mai 68 en France, Depardon, lui, sillonne le globe. En août 1968, il atterrit à Chicago, pour la Convention nationale démocrate et l’élection du sénateur Humbert Humphrey comme candidat à l’élection présidentielle à venir. C’est le premier reportage du photographe français aux États-Unis, et il marque le début de son suivi d’hommes politiques à l’international. Période d’immersion et de grande liberté : être au plus proche de l’action à travers le monde, avant même les commandes des rédactions.
1968 est une année cruciale également aux États-Unis. Le photographe français se retrouve alors au premier rang des manifestations et des émeutes musclées contre la guerre du Vietnam et contre Humphrey, candidat pro-guerre.
Quelques semaines plus tard, en septembre, Raymond Depardon reprend la route des États-Unis pour couvrir la campagne de Richard Nixon. Il s’envole pour Miami, dont il redécolle avec l’équipe du candidat et son organisation millimétrée. Il est alors le seul photographe français accrédité pour le « Nixon Tour ». L’impopularité du candidat républicain rend la présence médiatique très clairsemée, Depardon a donc le champ libre pour capturer ces moments historiques.
Première étape : Sioux City en Iowa, dans le Midwest. C’est un matin. La précision avec laquelle Raymond Depardon se remémore cet instant est phénoménale. Il se souvient que l’organisation américaine n’avait rien à voir avec l’organisation française. Carte blanche aux photographes. Déjà dans les années 1960, tout était mis en place pour valoriser l’homme politique. Même les gardes du corps permettaient aux photoreporters de s’approcher le plus possible. Aujourd’hui, il semblerait peu probable que cela se reproduise. Rien n’était laissé au hasard. « Il y avait trois avions : un avion technique, qui se pose en premier avec les photographes et les caméramans pour qu’ils soient prêts pour l’arrivée du candidat, puis un second qui transporte les journalistes, et enfin un troisième, celui de Nixon », raconte Raymond Depardon. « Lorsque Nixon est sorti de l’avion, j’ai hésité à prendre la photo. La prise de vue faisait trop carte postale. »
C’est alors qu’un supporteur nationaliste vient se planter devant lui avec son drapeau. Agité au premier plan sans un pli, il vient renforcer la dimension identitaire si propre aux États-Unis. Armé de son Nikon F1, dont l’objectif 24 mm donne cet effet « grand angle », il immortalise cet instant. Mythique. C’est plus tard, en regagnant la France en passant par New York, qu’il voit sa photo en couverture d’un journal italien. « Je ne l’ai pas reconnue, je pensais qu’un autre photographe l’avait prise ! Je ne savais pas qu’elle serait publiée. »
Devenue un emblème de la politique américaine, la photo est reprise à de nombreuses occasions. « Elle symbolise parfaitement l’Amérique de cette époque. Le débat politique se nourrit de la guerre du Vietnam, que Nixon avait promis d’achever. Ce V de la victoire est emblématique de sa campagne pour succéder au président Lyndon B. Johnson », commente Raymond Depardon. Le Vietnam occupe une place particulière pour le photographe, qui s’y est rendu avant et après ses reportages américains. Il y perd son ami et collègue, Gilles Caron, dans des circonstances toujours non élucidées sur la route du Cambodge.
En 1988, Sioux City, Iowa est choisie pour faire la couverture d’un ouvrage consacré au photojournalisme Eyes of Time, Photojournalism in America. C’est la photographie d’un Français qui fait la couverture de l’encyclopédie du photojournalisme américain…
Source LePoint.fr, Carla Peyrat