Lorsque la première guerre mondiale éclate, en août 1914, près de 4 millions de soldats français sont mobilisés. De ce moment dramatique, il reste de nombreuses photographies de trains bondés de jeunes appelés au départ de la gare de l’Est. Aucune image n’a, en revanche, été réalisée sur les premiers théâtres d’affrontements aux frontières franco-belge et franco-allemande, au début du conflit.
Le photoreportage de guerre existe pourtant depuis longtemps. Des organes de presse ont envoyé des journalistes pour couvrir la guerre de Sécession (1861-1865), la guerre russo-japonaise (1905) et les guerres balkaniques (1912-1913). Des peintres ont montré les horreurs du conflit franco-prussien de 1870-1871. Une expérience que les Français ont, depuis, oubliée. En 1914, le ministère de la guerre n’a pas préparé la mise en images des combats. Il a d’autres priorités.
Sous la pression de la presse, qui veut montrer cette guerre à son lectorat, l’armée doit apprendre à maîtriser l’image. D’autant que de nombreux soldats, qui pratiquaient la photo amateur dans la vie civile, ont emporté leur appareil dans leurs affaires. Avec leur Vest Pocket Kodak, dont les dimensions sont proches de celles de nos smartphones, ils photographient la vie au front, lorsque les armées s’enterrent dans les tranchées, à l’automne 1914.
Le documentaire d’Aurine Crémieu, coproduit avec l’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense, retrace l’histoire de la création de la Section photographique des armées (SPA), en mars 1915. Une quarantaine de photographes sont envoyés au front. Les opérateurs de la SPA se déplacent avec des chambres qui impriment des négatifs sur des plaques en verre au gélatino-bromure d’argent. L’état-major, qui souhaite garder la maîtrise de ce que le public aura à connaître, leur interdit de montrer des cadavres et les affrontements en première ligne.
Certains d’entre eux se défont de ces injonctions. Mais, dans l’écrasante majorité des cas, c’est la puissance militaire française et le bon moral des troupes qui sont mis en avant. Les historiens Benjamin Gilles et Hélène Guillot expliquent que ces clichés répondent à la production ennemie : l’allemande a, la première, utilisé la photographie à des fins de propagande.
Mme Crémieu a sollicité sept photographes de guerre contemporains, dont un de l’armée française, pour évoquer ce conflit qui marque la naissance du photojournalisme. Cet exercice s’avère limité, car ceux-ci se prononcent uniquement sur des images réalisées sur le front occidental par les opérateurs de la SPA. Il aurait été plus pertinent de proposer à ces reporters de s’exprimer sur un corpus qui prenne en compte ce qui a fait la spécificité de la Grande Guerre : un conflit qui a mobilisé des millions de soldats, sur de multiples théâtres d’opérations, couverts par les institutions militaires des pays belligérants, mais également par des photographes d’agence et des amateurs soumis à des contraintes techniques et à des questionnements variés.
Si les regards de ces photographes sont intéressants, la surabondance de leurs propos finit par noyer ce film dans une discussion plus large sur la photographie de guerre et sur ce qu’elle est devenue au fil des décennies.
Photographes au front, d’Aurine Crémieu (Fr., 2015, 52 min).
Source: LE MONDE, Par Antoine Flandrin