Le photoreporter iranien est récompensé pour son reportage de quatre ans en Afghanistan, « Life in War ».
« Quatre ans de travail. 20 photos. Ça défile trop vite… » C’est par ces mots que Pierre Meunier, membre de l’association Lucas Dolega, conclut le diaporama qui vient d’être diffusé sous les dorures de l’Hôtel de Ville de Paris. L’objet de la projection : « Life in War » (« La vie en guerre »), série de photos réalisée en Afghanistan par le photojournaliste iranien Majid Saeedi, récompensé le 17 janvier du prix Lucas Dolega.
Évaporées en quelques instants dans un diaporama forcément trop fugace, les images en noir et blanc de Majid Saeedi restent pourtant imprimées sur la rétine. Elles montrent l’Afghanistan dans toute sa profondeur, de l’armée nationale afghane aux scènes de vie quotidienne à Hérat, en passant par les hôpitaux psychiatriques et les prémices de défilés de mode à Kaboul. Ce kaléidoscope rare résulte d’une immersion totale du photographe iranien, installé en Afghanistan en 2009 après avoir fui le régime de Mahmoud Ahmadinejad.
« Le métier de reporter est dangereux partout dans le monde, pas seulement en Afghanistan », tient à souligner Majid Saeedi, photographe n’aimant pas les clichés. L’Iranien confie sa joie d’être récompensé en France, « le foyer du photojournalisme ». Surtout, il voit un « frère » en Lucas Dolega, jeune photoreporter tué en 2011 en Tunisie, qui a donné son nom à ce prix de reportage photo. Avec la dotation offerte par Nikon (un Nikon DF assorti de 7.000 euros), il souhaite continuer à exercer son métier « avec plus de volonté encore ».
Ce soir là, nombreux sont ceux qui sont heureux pour lui. Éric Bouvet, membre du jury et figure du photojournalisme français, salue le reportage au long cours effectué par Saeedi. « En tant qu’ancien, j’apprécie de voir que des gens s’investissent malgré la précarisation du métier. C’est important à une époque où beaucoup de jeunes photographes se contentent de travailler à court terme. Nous récompensons quelqu’un qui a pris le temps de réaliser un reportage un travail de fond. »
« Les images de Majid racontent tellement de choses », ajoute la présidente du jury Béatrice Tupin, chef du service photo du « Nouvel Observateur ». « De nombreuses séries racontent une histoire en plusieurs images. Dans « Life in War », chaque photo véhicule sa propre histoire. »
©Majid Saeedi
Si Béatrice Tupin s’est vu proposer de diriger le jury de la troisième édition du prix Lucas Dolega, c’est qu’elle a côtoyé le jeune photographe franco-allemand disparu au début du Printemps arabe. « Lucas a travaillé pendant deux ans au service photo du ‘Nouvel Obs’, à l’occasion d’un contrat de qualification. Il avait 21 ans, il était adorable et possédait un sourire magnifique », se souvient-elle. « Peu de temps après son départ du journal, nous avions vu sa signature apparaître progressivement dans la presse. Nous étions fiers de lui… »
Lucas Dolega s’est éteint le 17 janvier 2011 à Tunis, quelques jours après avoir été mortellement blessé par un tir de grenade lacrymogène. « Un assassinat », soutient Pierre Meunier. « Le policier l’avait identifié en tant que journaliste et l’a visé volontairement. »
Face à l’injustice et la douleur, ses amis « se sont soudés », ont fondé une association et lancé ce prix de photojournalisme destiné aux auteurs indépendants. « La grande famille du cinéma, je n’y crois pas. Mais celle du photojournalisme, j’y crois », affirme Pierre Meunier. « Nous sommes fiers de la solidarité de ce milieu, fiers d’avoir reçu 146 candidatures pour cette troisième édition du concours, fiers de renouveler nos contrats avec nos différents partenaires. Et nous sommes heureux que le nom de Lucas soit associé à un grand événement de la photographie. On n’oubliera jamais Lucas Dolega. »
Cyril Bonnet – Le Nouvel Observateur