Jason Tanner est un photographe de guerre anglais. Véritable globe-trotter, il a roulé sa bosse dans plus de 90 pays. Ses photos ont été publiées dans des médias tels que The New York Times, The Guardian, Time Magazine, Le Monde ou Paris Match.
Entre 2010 et 2013, il a travaillé exclusivement avec Angelina Jolie et a suivi l’actrice dans chacune de ses missions pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Il a également collaboré avec des organisations comme le Comité international de la Croix-Rouge, Médecins sans Frontières et Save the Children pour dénoncer – entre autres – les problèmes de violences sexuelles, de torture, de conflits et de déplacements forcés de population.
Les horreurs dont il a été témoin l’ont profondément marqué et poussé à prendre de la distance avec sa carrière de photographe. En 2014, il suit un master en droit international et droits de l’homme; une expérience qui le mène à développer le projet « Human Rights for Journalism ».
Il parcourt désormais la planète pour donner des conférences et animer des workshops afin de sensibiliser les journalistes et photographes aux problèmes de violation des droits de l’homme et à la manière de couvrir de tels sujets, tout en continuant à exercer en tant que photographe.
Quel a été l’impact des nouvelles technologies et d’Internet sur le photojournalisme?
L’impact a été très grand. C’est un domaine qui traverse une crise identitaire et une forte tension existe entre le (photo) journalisme traditionnel – avec ses principes d’objectivité et de vérification avant publication – et les nouvelles manières de rapporter l’information (rendues possibles grâce au numérique) qui riment souvent avec immédiateté, transparence, partialité, journalisme citoyen et correction après publication. Tout change très vite et de nouvelles pratiques voient le jour. Time Magazine et National Geographic ont récemment utilisé des images réalisées avec un Iphone pour leurs pages de couverture. Cela aurait été inimaginable il y a seulement quatre ans.
Qu’en est-il du métier de photojournaliste de guerre?
La technologie a accru les risques pour les (photo) journalistes de guerre qui deviennent les cibles privilégiées de gouvernements de plus en plus autoritaires. Nos ordinateurs, appareils photos et téléphones portables se font saisir aux frontières par les services de renseignements qui tentent d’obtenir des informations sur des personnes qui pourraient les intéresser. Le pire des scénarios est celui dans lequel les gouvernements utilisent la technologie pour traquer et s’en prendre aux reporters de guerre. Le cas de la journaliste américaine Marie Colvin en Syrie est un exemple, tristement célèbre, de ce genre de pratiques. La transmission satellite de son téléphone était pistée par le gouvernement syrien qui a utilisé ces données pour l’attaquer. Elle n’a pas survécu au bombardement qui a également enlevé la vie du photographe français Remi Ochlik.
Comment pouvez-vous vous protéger?
Le meilleur moyen est l’utilisation de systèmes de cryptage. Malheureusement, de nombreuses personnes continuent de passer par des serveurs peu sûrs tel que Gmail.
D’un point de vue technique, comment avez-vous changé votre manière de travailler?
Les nouvelles technologies ont rendu mon travail beaucoup plus facile et la qualité des images ne cesse de croître. Je ne dois plus, par exemple, voyager avec 100 pellicules sur moi pour réaliser un reportage. Une simple carte mémoire suffit à la réalisation d’un projet et j’édite les photos dans l’avion. Pratiquement plus aucun photographe de guerre n’utilise d’appareils argentiques; à l’époque j’étais obligé de développer mes clichés dans des chambres d’hôtel, avant de les envoyer par le biais de lignes téléphoniques peu fiables ou par courrier postal. Maintenant, la plupart des reporters capturent les images directement avec leur smartphone et les envoient instantanément aux médias et agences.
Quel est l’impact économique de tels changements?
Pour les photographes, ces changements ont engendré des coûts non négligeables. Les nouveaux équipements digitaux sont très chers, un bon appareil photographique reflex numérique et un objectif coûtent, au minimum, 5000 euros. A cela s’ajoutent les prix élevés des ordinateurs et des softwares. Cependant, le gain de temps constitue un énorme avantage. Mon ordinateur est devenu ma chambre noire.
Qu’en est-il des médias auxquels vous vendez vos photos?
Avec l’offre grandissante de téléphones-appareils photo et la prolifération de plateformes telles qu’Instagram, la photographie s’est démocratisée. Il n’y a jamais eu autant d’aspirants photojournalistes avec, comme résultat, une offre beaucoup plus large et diversifiée et une forte dévaluation des images sur le marché. Les publications ont des budgets de plus en plus réduits et de nombreux amateurs et agences cassent les prix en vendant des photos pour seulement 1 dollar. Il y a six ou sept ans, la couverture de Time Magazine valait 4000 dollars. Aujourd’hui, elle ne dépasse pas 1000 dollars. Quand j’ai commencé à être représenté par une agence, je touchais 200 dollars par cliché. La dernière image que j’ai vendue par ce biais a été achetée 32.99 dollars et je n’ai touché que le 50% de cette somme. Ensuite, d’autres paramètres entrent en compte, comme la célébrité du photographe.
Aujourd’hui, en zones de conflit, n’importe qui peut prendre une photo et l’envoyer à une publication. Quel regard portez-vous sur ce phénomène?
La capacité qu’ont les journalistes citoyens et les photographes amateurs de rapporter, directement et sans filtre, les violations des droits de l’homme en zones de conflit est sans limite et a, sans aucun doute, un impact particulièrement important sur le monde de l’humanitaire. Les photojournalistes, les médias et les activistes doivent maintenant trouver le meilleur moyen d’utiliser les nouvelles technologies afin de couvrir le plus efficacement possible les problématiques liées aux droits de l’homme et à leur violation.
Alors que la légitimité et l’authenticité des médias sont sans cesse remises en question, une certitude demeure depuis l’invention du photojournalisme. La force véhiculée par une image est toujours aussi puissante, et cela ne changera jamais, que la photo ait été prise à partir d’un smartphone ou d’un appareil professionnel.
Leila Ueberschlag, blogs.letemps.ch, mars 2017