Que sont devenues les célèbres agences de photo ?

Que reste t-il des agences de photo qui avaient fait de Paris la « capitale du photojournalisme » dans les années 70 à 90 ? Surnommées « les trois A », les agences Gamma, Sygma et Sipa subsistent aujourd’hui difficilement. Alors que certaines ont disparues, d’autres ont été rachetées ou se cantonnent à une activité d’archivage.

D’autres agences ou collectifs français ont pris la relève, en suivant la lignée de protection des auteurs et d’indépendance des photographes instaurée par leurs ainées. Une position difficile face à la concurrence des géants : les banques d’images et les grosses agences de presse mondiales et généralistes.

L’équipe de l’agence Gamma © Gamma-Rapho

Ces trois agences ont représenté l’âge d’or du photojournalisme argentique. Sygma, fondée en 1973 par Hubert Henrotte après un conflit avec l’agence Gamma, possédait un fond photographique qui couvrait toute l’Histoire de la seconde partie du XXe siècle avec également des archives datant d’avant la Seconde Guerre mondiale. Sipa a été créée par Goksin Sipahioglu en 1973. À l’époque, la célèbre agence de presse vendait 6 000 images créditées par jour dans plus de 40 pays, avec des photographies comme celles deUnited Press International, de la National Gallery de Londres, du photographe Yann Arthus Bertrand, d’Universal Photo ou encore de Serge Lido, photographe officiel de l’Opéra Garnier pendant trente ans. Gamma, qui avait été fondée en 1966 par des photographes tels que Jean Lattè et Raymond Depardon a lutté pour la liberté des photographes et de l’information. Raymond Depardon y avait publié des reportages comme celui du Chili ou de la campagne de Nixon.

Campagne de Richard Nixon par Raymond Depardon, 1968 © Raymond Depardon

Gamma, première des trois agences à voir le jour avait sonné une nouvelle ère dans le photojournalisme. Elle n’était pas une coopérative comme Magnum (créée en 1947) dans laquelle chaque photographe a le même nombre de parts et un droit de vote égal, mais une entreprise commerciale. Gamma créa une véritable rupture avec ses prédécesseurs en instaurant le partage équitable des frais et des bénéfices entre photographes et agence. Elle est aussi la première agence à accorder la mention du nom du photographe sur les publications et à lui accorder la propriété des négatifs (le copyright). Sygma et Sipa suivront son modèle.

Elles obtiennent les trois premières places du marché du photojournalisme en France et s’imposent dans la couverture de l’actualité internationale et dans sa diffusion. Outre-atlantique, BlackStar (1935) et Magnum (1947) délaissent en partie l’actualité pour la publicité, l’industrie et l’édition.

Construction of the Jonglei Canal in Sudan (Gamma) © Chip Hires

Depuis la numérisation et Internet qui ont entrainé une profusion d’images et la baisse de leur coût ainsi que la crise de la presse, les trois agences se portent mal. La presse préfère l’instantanéité et face à la profusion d’images, les photojournalistes ont étérelayés au second plan par les banques d’images ou agences qui fournissent les médias.

Gamma a été déclarée en cessation de paiement en 2009, suite à la liquidation de Eyedea Press, groupe auquel elle appartenait depuis 2007. Elle a ensuite été rachetée en 2010 par le photographe François Lochon. Elle se cantonne aujourd’hui à la vente d’archives qui représente 80% de son chiffre d’affaires.

Sygma a été rachetée par l’agence Corbis dirigée par Bill Gates en 2009. Corbis n’étant pas familier avec le journalisme – un travail pour lequel l’ancien propriétaire Hubert Henrotte consacrait des journées entières – la société se montre, dès le rachat, plus intéressée par les archives. À l’époque, 4 à 5 millions d’images étaient numérisées chez Sygma. Corbis licencie 32 photographes Sygma. L’agence est mal gérée, les archives reclassées non-plus par photographes mais selon une classification d’images. Suite à la perte de certaines photos, deux photographes portent plainte. Corbis fini endettée et revend Sygma à Unity Glory, une filiale de Visual China. Unity Glory conclu un accord avec Getty Images pour la commercialisation hors de Chine des 80 ou 100 millions d’images réunies par Corbis.
C’est ainsi que les photographies Sygma se retrouvent en vente sur Getty Images. Les prix sont passés de 400 euros la photographie à 70 euros, et maintenant 5 euros sur le web. Le pourcentage des ventes reversé aux photographes est passé de 50 à 30%. Getty Images a contacté les photographes Sygma en 2016 pour leur proposer des contrats. Laurent Van Der Stockt, photographe Gamma (et Grand gagnant du prix Visa d’Or Paris Match News 2017), a conclu un accord avec Getty Images qui est à présent l’un des plus grands diffuseurs d’images au monde.

El Nino, the burden of women ETHIOPIE – 20/03/16 © Jonathan Fontaine/Sipa Press

Dans les années 60 et 70, avec les agences Gamma, Sygma et Sipa, on parle d’un autre temps, où les photographes devaient la vente de leur travail à leur réseau ; les directeurs d’agences et photographes étaient proches et travaillaient ensemble. Si à l’époque les maisons de presse envoyaient leurs journalistes sur le terrain, elles avouent se tourner aujourd’hui vers des photographes freelance alors que seulement quelques-uns sont salariés. Elles n’envoient plus de photographes à l’étranger car il y en a sur place. Avec internet, ils peuvent contacter ces photographes par email ou par téléphone pour des commandes. Cela a réduit leurs dépenses budgétaires, en plus d’annihiler les frais de déplacement des photographes. Les agences ont moins de salariés et donc également moins de charges sociales.

Les conditions de travail des photojournalistes se sont fortement dégradées ces vingt dernières années. Depuis la crise de la presse, les organismes de presse n’ont eu qu’un mot d’ordre à la bouche : réduire les coûts, en commençant par les organismes extérieurs, et donc les photographies de reportage. Concurrencés par les agences filaires géantes comme AP, l’AFP, ou encore Reuters, et fragilisées notamment par les dépenses colossales dues à la numérisation les agences de presse ont fini par se retrouver sur la touche. Sygma, promise à un avenir prodigieux grave à son avance technologique, a été affaiblie car certains actionnaires n’ont pas cru, il y a vingt ans, au succès du numérique et n’ont pas voulu investir comme ils s’y étaient engagés, selon les propos d’Henry Henrotte.

Il semble que les coopératives fonctionnent car les photographes sont leurs propres gérants au sein de ce système, il n’y a donc pas de conflit patron d’agence/photographes sur l’orientation que doivent prendre l’agence ou les photoreportages. Il est important également aujourd’hui de se diversifier.

Sipa Press, pour diversifier sa production, mise désormais sur la photographie corporate qui représente 10% de son activité. Elle aimerait passer à 20%.

Magnum, qui est une coopérative, est détenue exclusivement par ses photographes. Elle a une possibilité de relais international avec 4 rédactions : à Paris, New York, Londres et Tokyo. Les photographes Magnum se réunissent une fois par an lors d’une grande Assemblée Générale pour se rencontrer et discuter de leur vision de la photographie, qui est issue d’un esprit commun. L’intégration de l’Agence se fait par paliers : les photographes voulant entrer à Magnum envoient un portfolio qui fera l’objet d’un examen de la part des photographes. Ceux qui sont nommés sont invités à poursuivre leurs travaux pendant 2 ans avec un photographe Magnum, puis à devenir associé et après quelques années test, actionnaires.

Si l’Agence est encore présente sur le marché et toujours aussi réputée, c’est que les photographes Magnum ont su garder le même esprit qu’à leurs débuts incluant une forte éthique et en même temps se diversifier avec l’édition, la photographie corporate ou encore la publicité. Magnum a connu des crises mais a su s’adapter aux changements économiques du photojournalisme impliquant notamment qu’une photo de presse ne se vend plus 5 000 euros mais 50 euros, en explorant d’autres champs dans le but de pouvoir financer le photojournalisme. Ils ont par ailleurs exploité leurs archives et continuent de les valoriser.

Des collectifs de photographes s’appuyant sur ce système de coopérative ont émergé dès les années 1970, en tout premier Viva en 1972. L’agence se tournait davantage que Magnum vers de jeunes photographes. Elle a aujourd’hui disparue. Des collectifs de photographes qui souhaitaient garder leur indépendance ont été créés dans les années 80 comme Bar Floréal (1985), Métis (1989), ils n’existent plus aujourd’hui. L’agence VU’créée en 1986 a persisté. Elle s’est diversifiée en créant la galerie VU’, en publiant ses photographies dans des livres ou expositions en plus de la presse et en employant aussi bien des photojournalistes que des photographes d’art.

De nouvelles initiatives d’agences émergent, basées sur le numérique, le collectif, et la diversification des productions et de la transmission des oeuvres.

La britannique VII, lancée en septembre 2001 par une bande d’amis avec sept leaders en matière de photojournalistes dont Gary Knight, James Nachtwey (ex-Magnum), Joachim Ladefoged, ou la Française Alexandra Boulat (ex-Sipa) décédée en 2007, est composée aujourd’hui de 16 photographes. Elle propose des photoreportages, édite des livres de photojournalisme, mais également des films.

Il reste également des collectifs comme Tendance floue (fondé en 1989), avec ses treize photographes. Si le collectif l’Oeil public, fondé en 1996 a déposé le bilan, Tendance flouea su utiliser le numérique pour se développer, et la diversification pour subsister. Le collectif réunit des photographes et propose des photoreportages pour la presse mais réalise aussi des photographies pour des expositions, des projections, ou encore l’édition ou des évènements.

© Ed Kashi/ VII

L’agence Signatures, quant à elle, a pu être créée en 2007 grâce justement à la numérisation. Les petits locaux qu’ils avaient à l’ouverture n’auraient pas pu se consacrer à l’archivage que demandait à l’époque la photographie argentique. Maison de photographes dédiée aux auteurs, Signatures propose la représentation d’artistes et le management de leur carrière, la presse représentant 40% de leur clientèle.
De nouvelles plateformes en ligne, basées sur la réunion et la collaboration de photographes et d’artistes voient le jour. Par exemple, la plateforme internationale de valorisation et de diffusion d’oeuvres Hans Lucas. Elle se décrit comme « un écosystème qui invite des auteurs, des artistes émergents ou reconnus – photographes, réalisateurs, dessinateurs, créateurs sonores – à faire ensemble. » Depuis 2011, elle a développé un logiciel innovant, Hermès, qui permet à ses membres de gérer leurs fichiers numériques puis de leur apporter une diffusion adaptée et performante. Les acheteurs peuvent se connecter à la plateforme et commander en ligne les travaux qui les intéressent. Là encore, la plateforme diversifie ses activités pour s’adapter au marché et laisse une grande part de gestion de leur productions aux photographes.

Les grandes agences de presse qui avaient fait de Paris la « capitale du photojournalisme » ont connu une véritable crise et les photographes ont dû trouver de nouvelles alternatives pour faire valoir leur travail et protéger leurs droits. Les agences ou collectifs indépendants qui ont subsisté sont ceux qui se sont adaptés au système numérique et ont diversifié leurs productions et moyens de diffusion (édition, expositions, mise en ligne numérique). Ces comités de photographes ou agences gardent à l’esprit la protection des auteurs et la mise en avant de leurs photoreportages.

« Journaliste photo, c’est un double métier, à la fois journalistique et artistique. C’est un travail très complet qui demande du temps », comme le dit Magdalena Herrera, directrice de la photo à Géo.

Source Phototrend.fr, JODIE WTULICH

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