Damien Fellous – « les Guérill’Ados de l’ELN »

Damien Fellous est né à Paris en 1970. Etudie l’audiovisuel et les sciences politiques et sociales à l’université, puis le photojournalisme en 2000 au CFD-EMI à Paris. En 2001, il publie son premier livre avec Nadège Mazars, « Et la forêt se déplaça… », sur les zapatistes mexicains. Rejoint le collectif de photographes Libre arbitre en 2003. Ses images d’Europe, d’Asie et surtout d’Amérique Latine paraissent dans de nombreux magazines et ont été exposées en France, en Allemagne, en Chine et au Japon. Son travail sur les jeunes guérilleros colombiens a reçu le prix spécial du jury aux Days Japan Awards en 2009.

Créée en 1964 après le succès de la Révolution cubaine, l’ELN (Ejercito de Liberacion Nacional, Armée de Libération Nationale) est le mouvement de guérilla le plus important en Colombie après les FARC, avec entre 3.000 et 8.000 hommes suivant les estimations. S’inspirant de thèses chrétiennes autant que castristes, l’ELN a été dirigée jusqu’à sa mort en 1988 par le prêtre espagnol Manuel Perez, influencé par la Théologie de la Libération. Avec Che Guevara et Simon Bolivar, on y cultive surtout le souvenir du prêtre colombien Camilo Torres, mort en 1966 lors de son premier combat après avoir rejoint la guérilla. Bien que peu présente dans la presse internationale, l’ELN demeure un acteur majeur de la guerre civile colombienne, un conflit complexe, souvent méconnu en raison de l’ombre médiatique des FARC et de leurs otages.

L’ELN est en partie composée de jeunes ayant fui la terreur ou la misère régnant dans leur village ou leur quartier. Paradoxalement, ils mènent souvent au sein de la guérilla une existence plus facile, voire moins violente que dans leur vie antérieure. Comme l’avoue un cadre plus âgé : «la société a changée, et les nouvelles recrues n’ont pas les idéaux révolutionnaires, les grandes utopies, qui nous ont poussé à rejoindre la guérilla. Ils viennent surtout pour l’aventure et les trois repas quotidiens, mais nous devons les prendre quand même, sinon ils rejoindraient les FARC, ou même les Paracos (paramilitaires d’extrême-droite). À nous de leur inculquer cette conscience, cet idéal…»

Les recrues sont envoyées dans des «écoles de guérilla», où elles reçoivent une formation politique et militaire. Par groupes de quelques dizaines, âgés de 15 à 20 ans en moyenne, les jeunes guérilleros mènent une vie nomade, déplaçant leur campement tous les deux ou trois jours. On y trouve autant de filles que de garçons, partageant leur temps entre les activités militaires et les préoccupations typiques de leur âge. Amours, musique, fringues et famille occupent plus leurs conversations que les dernières évolutions politiques autour des pourparlers de paix… À les observer, on pourrait croire que leurs armes ne sont que des jouets et la guérilla une simple colonie de vacances, une sorte de camp scout. Mais la mort et la douleur ne sont jamais loin, et nous ramènent à la réalité d’un conflit qui fait des milliers de victimes chaque année, à commencer par ces jeunes oscillant entre légèreté de l’adolescence et dureté du combattant.

Bien qu’il ait fallu un certain temps pour être autorisé à réaliser ce reportage, une fois obtenu le feu vert, Damien Fellous a bénéficié d’une totale liberté pour travailler, au delà même de ses espoirs. Tous les combattants étaient très curieux de savoir comment leur lutte était considérée en Europe, et souvent déçus d’apprendre que l’ELN est très peu connue en France. L’un d’eux lui a même dit une fois : «Les médias sont bizarres. On nous dit plus faibles parce que nous ne faisons plus d’enlèvements massifs, parce qu’on ne tue pas de civils et qu’on ne fait pas d’attentats dans les villes. Ce serait facile pour nous de faire sauter une université privée de Bogota ou de terroriser quelques villageois. Si on ne le fait pas, c’est pour des raisons politiques, pas par faiblesse, mais cela nous fait disparaître de la presse, parce qu’ils ne répercutent que les actes violents et jamais notre travail quotidien de coopération avec les communautés civiles dans les territoires que nous contrôlons. Faut-il se montrer aussi terribles que les FARC pour qu’on s’intéresse à nous ? Faut-il enlever des étrangers pour obtenir une reconnaissance internationale ?»

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