Walker Evans, une vision américaine

Le seul film jamais réalisé sur Walker Evans de son vivant date de 1969. Il a été tourné par Sedat Pakay, six ans avant la mort du photographe. Il montre un homme élégant, peu bavard, extrêmement réfléchi. Un intellectuel new-yorkais, à la fois humble et conscient de sa valeur. En fait Evans, passionné par la culture populaire et par les gens simples, n’a jamais cessé de traverser l’Amérique, et ceci depuis sa naissance le 3 novembre 1903 à Saint Louis. Son père travaille alors dans la publicité et, au gré de ses promotions, la famille déménage, d’abord dans l’Illinois, puis dans l’Ohio. A 16 ans, le jeune Evans intègre un pensionnat du Connecticut avant de rejoindre sa mère et sa sœur, installées à New York. Une fois ses études supérieures terminées, il entre, à 20 ans, comme employé dans la salle des cartes et des atlas à la bibliothèque publique de New York, puis, grâce à une bourse, file à Paris étudier le français à la Sorbonne durant une année. Il commence à prendre quelques instantanés avec un appareil petit format.

Roadside stand près de Birmingham, Alabama. Walker Evans

Quand il rentre au pays, il s’installe à Brooklyn et fréquente artistes et poètes de sa génération. Il se lie d’amitié avec Berenice Abbott qui lui fait découvrir l’œuvre d’Eugène Atget, photographe français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, qui avait entrepris de saisir systématiquement, et in situ, tous les petits métiers de Paris. La vocation de Walker Evans se confirme, à 26 ans, il se déclare photographe. Il explore des thèmes qui lui sont chers : les annonces et enseignes publicitaires qui fleurissent sur les murs des villes et les maisons de banlieue construites sur le même modèle. Il réalise également une série sur l’architecture victorienne de la région de Boston : une quarantaine de ces photos sont présentées au MoMA à New York, en 1933. La même année, il se rend à Cuba et capte, à la chambre, dans un style frontal devenu sa marque de fabrique, immeubles et maisons du bord de mer. En 1934, il démarre sa collaboration avec le magazine « Fortune », puis réalise, en 1935, plusieurs reportages pour le département de l’information du ministère de l’Agriculture (la RA puis la FSA), qui a pour but d’aider financièrement les fermiers touchés par la grande dépression.

Sa première mission le conduit en Pennsylvanie, à La Nouvelle-Orléans, dans l’Alabama, au Mississippi, en Géorgie et en Virginie-Occidentale. En mai 1936, il accompagne l’écrivain James Agee, chargé par « Fortune » d’écrire un article sur les métayers du Sud qui vivent dans le plus grand dénuement. A cette occasion, Evans réalise des portraits qui, aujourd’hui encore, sont emblématiques de cette période et de la manière neutre mais poignante avec laquelle il capte la muette détresse humaine. Hommage suprême, en 1938, le MoMA présente « Walker Evans, American Photographs », la première exposition monographique majeure consacrée par ce musée à un photographe. Ensuite, Evans rompt avec ses propres règles de pose frontale et saisit, à la sauvette, les passagers du métro new-yorkais, une série qu’il publiera bien plus tard. De 1943 à 1945, il collabore au magazine « Time », dans lequel, en homme érudit, il rédige des comptes rendus sur des films, des livres et des expositions. Toujours attentif aux formes d’expression visuelle populaire, appréciées par tous à des fins utilitaires, il amasse patiemment une collection de 9 000 cartes postales, dont il réalise un portfolio, et qu’il offrira au MoMA quelque temps avant sa mort, en avril 1975.

« Allie Mae Burroughs, Wife of a Cotton Sharecropper », 1936, de Walker Evans.

Cette photographie est l’une de ses plus connues. Elle symbolise les ravages de la crise économique de 1929 aux Etats-Unis. Elle signe également le style frontal et neutre d’Evans, qui laisse le sujet s’exprimer pour ce qu’il est. Le contraire du portrait volé à la manière d’Henri Cartier-Bresson. La radicalité du cadrage, l’absence d’effet, la lumière naturelle mettent le spectateur face à la vérité du modèle. Un parti pris adopté ensuite par de nombreux photographes et artistes, notamment, en 1970, par l’école de Francfort. Ce portrait a été réalisé dans le cadre d’un reportage confié à l’écrivain James Agee par le magazine ‘Fortune’ sur les métayers du Sud vivant dans la misère depuis la crise pour lequel Agee avait proposé alors à Evans de l’accompagner. Tous deux passent l’été dans le comté de Hale (Alabama), où ils partagent la vie de trois familles: les Fields, les Tengle et les Burroughs. L’article qui s’ensuit est refusé. Mais, en 1941, Agee publie un des plus grands livres de la littérature américaine, intitulé ‘Louons maintenant les grands hommes’ accompagné d’un portfolio de 31 photographies d’Evans, dont ce cliché mythique d’Allie Mae Burroughs.

Walker Evans », Centre Georges-Pompidou, jusqu’au 14 août.

source : http://www.parismatch.com, Elisabeth Couturier, 20 mai 2017

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