Voyage dans l’éternité de Cartier-Bresson

Portraitiste visionnaire, photographe humaniste, Henri Cartier-Bresson a marqué par son incomparable créativité l’art du XXème siècle. Avec « The Modern Century », le MOMA offre – en collaboration avec la Fondation Cartier-Bresson de Paris – la première rétrospective majeure de l’œuvre de l’artiste depuis sa mort en 2004.

Après la seconde guerre mondiale, Robert Capa et Henri Cartier-Bresson, à travers la formation de l’agence Magnum, avaient lutté pour la démocratisation du photojournalisme. En quête de connaissance, Cartier-Bresson n’a cessé dès lors de combiner photographie et études sociales à travers le monde.

Paris, 1968. Une première salle, aérée, sans lourdeur chronologique de procession, ouvre sur Paris et sa révolte : manifestations Place de la République et au Père Lachaise. Des photos d’une neutralité franche, sans parti pris. Les locaux de la BBC à Londres font leur apparition. Puis, les lieux et les impressions se mêlent : le Caire en 1950, le Michigan en 1960, l’Inde de 1947, l’Iran, l’Italie, la Turquie, l’Espagne, la Roumanie, le Nebraska… Au milieu, quelques scènes bucoliques attrapées en Lozère, au Mans et dans le Vaucluse, suffisamment puissantes et animées pour qu’un Français en exil s’imagine dans un film de Jacques Tati.

Une autre salle présente le reportage de Cartier-Bresson en Chine lors du Grand Bond en Avant en 1958. Ce projet a connu un succès limité, alors qu’il a généré de véritables bijoux d’archives !

Le coup de maître du conservateur Peter Galassi, pour The Modern Century, réside justement dans le mariage subtil entre des œuvres dites majeures et d’autres très peu connues, même des experts. Le livre de l’exposition est d’ailleurs déjà considéré comme un ouvrage révolutionnaire dans l’histoire de l’art. The Modern Century présente 300 photographies – dont 220 ont été prêtées par la Fondation Cartier Bresson, créée en 2002 – et resserre le lien étroit entre l’artiste et le musée qui l’avait accueilli en 1947.

Le luxe des artistes est le paradoxe. HCB en cultivait un de taille : l’amour du photojournalisme – avec une certaine idée de l’objectivité – et l’adhésion au procédé surréaliste d’embellissement du réel (rendre le monde plus surprenant qu’il ne l’est réellement). Cette conception de la photographie poussera HCB à produire certains clichés plus lyriques, assez peu connus : des femmes nues, lascives, recouvertes d’eau, des paysages romantiques au Japon, … Trésors que le MOMA livre au fil de la visite.

« La rue est un théâtre, nos gestes sont des histoires ». L’éventail des gestes que Cartier Bresson a photographiés est large. Son œil s’est posé sur des prostitués mexicaines et sur des princes anglais. Sur la pellicule de l’artiste se rencontrent Henri Matisse et Christian Dior, Richard Avedon et le Roi George VI, François Mauriac et Coco Chanel, Albert Camus et Truman Capote, Jean Paul Sartre et Madame Lanvin, Simone de Beauvoir et Georges Duhamel, Pierre Bonnard et Jean-Marie Le Clézio, Giacometti et Colette… Ces grands noms n’ont pas détourné HCB de sa curiosité pour l’homme de la rue.

Dans la fugacité d’un cliché où un membre de l’académie française, rehaussé par son chapeau Napoléonien, croise sur le même plan un travailleur, se mesure la volonté de HCB de décrire la matière humaine plus que son ordre.

Au MOMA,11 West 53 Street New-York, NY
Du 11 avril au 28 juin.

Sarah Bordes, 8 avril 2010 sur http://frenchmorning.com

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