La grande précarité des photojournalistes indépendants

Ils sont sur tous les terrains, une manifestation en France ou un conflit à l’étranger, quelques fois au péril de leur vie. Mais avec des commandes, donc des revenus, en chute libre, les photojournalistes indépendants souffrent d’une grande précarité.

« C’est un métier où tu donnes tes tripes, ton énergie, ta santé. C’est plus qu’un boulot, ça devient un mode de vie. C’est +tricoté+ avec ta vie personnelle. Et où est le retour sur investissement, après des années et des années où tu as ramé ? », témoigne à l’AFP la photoreporter franco-espagnole Catalina Martin-Chico.

« Au niveau des conditions de vie, de ce qu’on gagne, de la précarité, c’est quand même catastrophique », poursuit cette photographe reconnue, qui expose cette année son travail sur les ex-rebelles femmes des Farc (Colombie) au festival Visa pour l’image de Perpignan (1er au 16 septembre).

« Les tarifs sont de plus en plus bas et les délais de paiement absolument insupportables. Si on se casse un bras, on ne peut pas travailler, on a zéro euro à la fin du mois. Comment on fait pour payer notre loyer ? On n’a aucun chômage, pas de retraite, pas de congés payés ».

Autre exemple avec le Français Samuel Bollendorff qui présente avec « Contaminations, ou après moi le déluge » une des expositions les plus en vues de Visa, rendez-vous annuel de la profession également plébiscité par le grand public.

Les larmes de sirènes (océan pacifique nord), exposition « Contaminations » Festival Visa pour l’image, Perpignan, 2018 Crédits : Crédits : Samuel Bollendorff – Radio France

Photoreporter depuis 20 ans, « je n’ai plus de carte de presse depuis 5 ans. Les 10 premières années, j’ai vécu avec 80 à 90% de mes revenus issus de la presse. Les 10 suivantes, j’ai toujours réussi à financer mes projets, mais plus avec des partenaires de presse », explique-t-il à l’AFP.

Avec la crise des médias, les budgets attribués à la photo ont chuté. Et quand les reporters se tournent vers le « corporate », c’est-à-dire travaillent pour des entreprises pour financer des projets, « ils perdent leur carte de presse ».

« On ne permet plus à la photographie indépendante d’avoir voix au chapitre, c’est un vrai problème de démocratie. On se retrouve avec un appauvrissement catastrophique de la pluralité de l’information », insiste-t-il.

« La presse n’est plus le partenaire de production des photographes », ne s’engage plus « dans la production d’histoires singulières », selon lui. Sa série sur les sites les plus pollués de la planète a toutefois été réalisée en coproduction avec Le Monde et avec le soutien de la fondation Tara Expéditions.

« Il faut être en veille permanente, comprendre comment aujourd’hui on consomme l’information et essayer de proposer des nouvelles formes de diffusion ». Samuel Bollendorff s’est donc lancé dans le webdocumentaire.

« On est dans une situation extrêmement fragile », confirme Thierry Ledoux, photographe et président de la commission des images fixes à la Société civile des auteurs multimédia (Scam). « Il y a 677 reporters photographes qui ont une carte de presse aujourd’hui, contre environ 1.200 il y a 10 ans ».

« Et il ne s’est rien passé depuis 2015 », date de la publication d’une enquête de la Scam intitulée « Photojournalisme: une profession sacrifiée ».

Pire, un décret signé le 9 mai 2017 a instauré un salaire minimum de seulement 60 euros par pige pour 5 heures de travail, sans encadrer l’étendue de la cession des droits du cliché. De nombreux acteurs de la profession demandent sa révision rapide.

De plus, le statut d’auto-entrepreneur, privilégié pour des raisons d’économie par certains organes de presse, « est en train de gangréner la profession », met en garde le responsable de la Scam.

« J’ai récemment reçu un jeune photographe avec une carte de presse. Certains journaux refusent de le faire travailler, sauf s’il accepte le statut d’auto-entrepreneur ». « Chez les photographes, il y a un sentiment d’impuissance et de frustration », selon lui.

Source : https://www.capital.fr

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