Portrait d’Anja Niedringhaus, tuée en Afghanistan

Anja Niedringhaus, photographe allemande de l’agence américaine Associated Press (AP), lauréate du Pulitzer pour sa couverture de la guerre en Irak, a été tuée le 4 avril dernier dans l’est de l’Afghanistan par un policier, à la veille de la présidentielle.

Voici le portrait rédigé par AP (traduit en français par l’AFP) et reproduit ici avec l’accord de l’agence américaine.

Anja Niedringhaus a fait face à certaines des situations les plus dangereuses de ce monde. Et elle avait aussi l’un des rires les plus contagieux de la planète. Elle a photographié l’agonie et la mort. Et elle avait choisi de prôner l’humanité et la vie. Elle s’est investie à fond dans les sujets de ses photos, et elle a offert au monde ses talents, avec des images de victimes des guerres en Afghanistan, Irak, Bosnie et au-delà.

Tuée par balle vendredi par un policier afghan, Niedringhaus, qui était âgée de 48 ans, laisse derrière elle une œuvre qui a remporté de nombreuses récompenses et touché des milliers de cœurs. Derrière son appareil, elle a su capturer des enfants pris dans la tourmente de la guerre, mais parvenant malgré tout à trouver un terrain où jouer.

Elle a su tirer le portrait de soldats au milieu de leur armée, faisant face à la mort, aux blessés et aux attentats. Deux jours avant son décès, elle avait cuisiné des saucisses et pommes de terre à Kaboul pour sa collègue d’AP Kathy Gannon, également blessée lors de l’attaque ayant tué Niedringhaus, et pour le photographe Muhammed Muheisen.
«J’étais très inquiet pour sa sécurité. Mais elle, elle m’a répondu: « Momo, je suis faite pour ce métier. Je suis heureuse d’aller »» sur le terrain, raconte Muheisen.

En mai 2013, un policier afghan à un checkpoint. ©Anja Niedringhaus

Anja Niedringhaus commence à travailler comme photographe alors qu’elle est encore à l’université pour plusieurs journaux et magazines. Sa couverture de la chute du Mur de Berlin lui permet de décrocher un poste au sein de l’agence EPA (European Pressphoto Agency) en 1990.

Basée à Francfort, Sarajevo et Moscou, elle passe la plupart de son temps à couvrir le conflit de l’ex-Yougoslavie.Elle rejoint Associated Press en 2002. Alors qu’elle est basée à Genève, elle se rend en reportage à travers le Moyen-Orient ainsi qu’en Afghanistan et au Pakistan. Elle fait partie de l’équipe de journalistes d’AP qui remporte le Prix Pulitzer 2005 dans la catégorie actualité pour leur couverture de la guerre en Irak.

«Ce que les gens savent de l’Irak, ils le savent en grande partie grâce à ses photos et aux photos prises par les photographes qu’elle a épaulés et mis en condition», explique le photographe de AP David Guttenfelder. «Je sais qu’ils se demandent à chaque fois: ‘Qu’est-ce que ferait Anja dans ce cas?’ lorsqu’ils partent sur le terrain avec leurs appareils. Nous le faisons tous».

Niedringhaus cherchait à saisir ce que la guerre signifiait pour les sujets de ses clichés: un garçon afghan sur une balançoire tenant dans ses mains un jouet mitraillette. Une Irakienne tout de noir vêtue donnant le biberon à son enfant en attendant la libération de prisonniers. Un soldat américain pleurant la perte de 31 de ses camarades.

«Anja Niedringhaus était l’une des photojournalistes les plus talentueuses, courageuses et accomplies de sa génération», a souligné le vice-président d’AP et directeur de la photographie, Santiago Lyon. «Elle croyait véritablement dans la nécessité de témoigner».

Et son engagement ne s’arrêtait pas lorsqu’elle posait son appareil photo. En 2011, elle photographie un Marine évacué d’Afghanistan en raison de blessures graves. Elle cherche ensuite à savoir ce qui lui est arrivé, et au bout de six mois de recherche, elle le retrouve. Elle lui montre alors les photos qu’elle a prises de lui ce jour-là, et lui offre un morceau de blé qui s’était collé à son uniforme lorsqu’il était tombé sous le feu des combats. Elle l’avait gardé alors qu’elle prenait les photos.

«Je ne crois pas que les conflits aient beaucoup changé depuis le 11-Septembre, à part pour devenir plus fréquents et prolongés», affirme-t-elle en 2011 au New York Times dans un échange de mails. «L’essence même des conflits est toujours pareille: deux parties combattant l’une contre l’autre pour le territoire, le pouvoir, les idéologies. Et au milieu, il y a la population, qui souffre».

Anja Niedringhaus

Niedringhaus a été blessée plusieurs fois au cours de ses missions: une jambe cassée dans les Balkans en tentant d’échapper à une embuscade, des brûlures sévères à la jambe en reportage en Irak, ou encore des éclats d’obus lors d’une patrouille avec les forces canadiennes en Afghanistan.

Elle n’a pas fait que capturer des images de guerre. Elle a aussi photographié la victoire, sur les podiums des jeux Olympiques, ainsi que la diplomatie mondiale, des avions solaires et des combats de vaches. Le photographe de AP Jerome Delay, qui l’avait rencontrée à Sarajevo dans les années 1990, se souvient jouer au ping-pong avec elle sur une table de l’Hôtel Palestine à Bagdad.

Usain Bolt (AP Photo/Anja Niedringhaus)

Lors d’une exposition de ses photos à Berlin en 2011, elle lançait: «Parfois, je me sens mal car je sais que je peux à tout moment quitter le conflit, rentrer chez moi, auprès de ma famille, où il n’y a pas de guerre». Sa famille, c’était sa mère, ses deux soeurs et sa tante. Il y a quelques années, ils avaient acheté une vieille demeure dans le centre de l’Allemagne, où elle aimait passer du temps avec sa nièce et ses neveux.


(afp/Newsnet)

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