Aisha retrouve un nouveau visage

Quand on l’appelait Bibi, Aisha incarnait la barbarie moyenâgeuse des taliban aux yeux du monde. Depuis son apparition en couverture de «Time Magazine» il y a deux ans, cette jeune afghane mutilée par ses proches a retrouvé un nom, et l’existence propre qui va avec. Une famille aussi. Et depuis peu, un nouveau visage. Aisha Mohammadzai a subi une nouvelle opération de reconstruction faciale qui a lui a enfin rendu le nez que son époux lui avait coupé.

A 12 ans, Aisha avait été mariée de force à un homme proche des taliban, après avoir été donnée par ses parents pour s’acquitter d’une «dette de sang». Les femmes «cédées» selon cette coutume du «baad», sont des moins que rien dans la culture tribale afghane. Aisha était souvent battue, parfois forcée à dormir dans une étable avec les animaux. Après des années de sévices, elle a décidé de s’enfuir. Seulement pour être rapidement rattrapée. La sentence est prononcée par les hommes de son village, sous la juridiction d’un taliban. Elle sera défigurée.

C’est son «époux» qui lui tranche le nez et les oreilles, pendant que son frère la tient. Répudiée, elle est laissée en sang, au sol, le châtiment exécuté. Aisha se rend alors jusqu’à la maison de son oncle, qui refuse de l’aider. Un proche se décidera finalement à l’emmener dans un hôpital de l’armée américaine. Elle restera à l’abri dans cet établissement pendant plus de deux mois, avant d’être recueillie au sein d’un centre destiné aux femmes afghanes battues, dans un endroit secret de Kaboul. C’est là que plusieurs journalistes américains ont rencontré celle que l’on appelait alors Bibi. Parmi elles, Jessica Ravitz de CNN qui est allée la revoir dans son nouveau chez elle, à quelques jours d’une nouvelle opération du visage.

Bibi_Aisha_Cover_of_Time

Aisha est installée depuis plus d’un an dans une famille du Maryland, Jamila, son époux Mati et sa fille d’un premier mariage Miena, après plusieurs mois passé entre la Californie et New York. Loin de la frénésie des deux mégalopoles, la jeune fille qui n’a jamais fêté son anniversaire mais pense avoir 21 ou 22 ans, est plus à l’aise au calme. Depuis son arrivée aux Etats-Unis, sa vie a été riche en émotions et la reconstruction de son visage n’aide pas vraiment à celle de sa personnalité. Sa quatrième opération, depuis son arrivée, a marqué la moitié de son épopée médicale, qui s’achèvera avec un nouveau nez l’été prochain. Les médecins ont prélevé des morceaux de ses côtes pour recréer la structure de son nez.

Elle porte aujourd’hui l’ébauche d’un nez, avec de la peau et de la chair qui un temps avait l’odeur de la viande faisandée.

«Je ne m’inquiète pas. Tout le monde a ses problèmes», a-t-elle expliqué à la journaliste, avec l’aide d’un traducteur de pachto. «Au début, j’avais très peur. J’avais peur de regarder mon visage dans le miroir… J’avais peur de penser à ce qui aller se passer pour moi. Mais maintenant, je n’ai plus peur». Aisha aurait pu se laisser abattre. Elle aurait pu devenir folle en vivant en 20 ans bien plus de souffrance que certains malheureux en toute une vie. Elle a parfois été difficile à gérer. «Elle était tout à la fois une enfant têtue, une ado boudeuse et une femme brisée», résume la journaliste de CNN, mais les choses vont vraiment en s’arrangeant, selon sa mère adoptive.

Si son état physique l’a privée de nombreuses activités, des jeux au maquillage, Aisha apprend à lire, à écrire. Elle prend soin d’elle, elle cuisine. «Maintenant, je connais le sens de la vie, comment vivre. Là-bas, je ne pouvais pas savoir comment vivre», a-t-elle expliqué. «Ce qui s’est passé, ça fait partie de moi, une partie de ma vie et c’est tout le temps, dans mon esprit, avec moi. Mais je dois vivre, et je dois aimer». Si son visage brisé a des médecins pour le reconstruire, Aisha, bien entourée, a entrepris d’elle-même le travail sur son cœur.

Source : Paris match

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